Un. Deux. Trois. Bastian avance de trois pas. S'arrête. Analyse. Qu'analyse-t-il. Il ne sait pas. Il regarde les passants, les observe. Scanne. Rien ne se passe. A quoi servait ce scan déjà? Le programme qui dictait à la machine de scanner les êtres continuait de fonctionner. Alors il analysait. En revanche, le programme qui lui dictait ce qu'il devait faire des informations récoltées était endommagé et il ne savait que faire. Alors il ne faisait rien d'autre que scanner. Autrefois, il scannait pour distinguer les porteurs de puces des non-porteurs et ainsi repérer les intrus à Wan. Ces derniers étaient d'ailleurs aussitôt signalé et envoyé à Din. Après une petite de séance de torture physique ou psychologique. L'un ou l'autre. Parfois les deux. Bastian avait été programmé pour torturer les intrus. Pour cela, il s'intéressait aux humains. Mieux comprendre les humains lui permettait de mieux les faire souffrir et d'ainsi remplir au mieux sa mission: faire plaisir à sa Seigneurie. Cela il l'avait évidemment oublié. Toutefois, son intérêt pour les humains, leurs expressions, leurs émotions, leurs sentiments, leurs façons d'agir était rester intact de même que son aptitude à questionner.

- Le port d'armes n'est pas autorisé à Wan.

Déclare froidement le robot de sa voix mécanique en posant sa main froide sur l'épaule d'une jeune femme aux cheveux d'argents . Bastian la retourne d'un coup sec. Ce n'est pas difficile pour lui avec sa force surhumaine. Il scan. Par automatisme. Il lâche la femme et sourit.

- Vous êtes priée de vous rendre aux autorités. Vous avez le droit de garder le silence.

Victime d'un bug, Bastian avait oublié qu'il ne se trouvait plus à Wan mais à Din. Cela lui arrivait parfois. Une petite mise à jour automatique des données et il se rappellerait bien vite qu'il n'était plus à Wan mais à Din. En attendant, il s'en était pris à une jeune femme qui n'avait pas l'air commode et semblait capable de se défendre. Mais les robots à Din valaient de l'or et à plus forte raison s'il était encore en "état" comme Bastian. C'est-à-dire, capable de se mouvoir, de s'exprimer, d'enregistrer des informations et autres. Et ce, malgré les quelques disfonctionnements dont il faisait parfois preuves.

 - Le port d'armes n'est pas autorisé à Wan. 

Din. Mise à jour. Nous ne sommes plus à Wan mais à Din. Un sourire mécanique se dessine sur son visage presque humain. S'il n'avait pas été abîmé lors de son atterrissage à Din et s'il n'avait eut une voix de synthèse, on s'y serait trompé quant à son humanité, assurément. La partie droite de son visage laisse voir des déchirures de sa peau synthétique qui lui donne une apparence humaine. Les parties déchirées laissent clairement apparaitre son visage de métal. Cette marque part de son oeil droit qui n'est plus qu'une lumière rouge et s'étend de façon irrégulière jusqu'à sa joue. Après, il n'y a plus que quelques petites déchirures moins importantes. La partie gauche de son visage est quasiment intacte. Il n'y a qu'une petite déchirure qui laisse voir le métal au bas de son visage. Ses bras couvert par les manches de sa veste dissimulaient les câbles qui dépassaient, de même que son écharpe cachaient son cou abîmé qui laissait voir sa base métallique. Une de ses mains n'était plus que métal. Ce n'était pas la main qu'il avait posé sur l'épaule de la jeune femme mais celle qu'il avait laissé pendre le long de son corps qui était abîmée. Il était souvent la cible d'attaque, mais ayant été conçu pour défendre, il était tout à fait en mesure de se protéger. Paix aux âmes des malheureux qui auront tenté de le démonter... Puissent se rétablir les inconscients qui avaient survécu à la main de fer de Bastian.

- En effet nous sommes à Din. Vous pouvez circuler librement.

Sourire. Bastian enregistre les informations: " Nous sommes à Din. Le port d'armes est autorisé à Din." Il continue de scanner les passants. La lumière émise par son œil change de couleur, elle passe du jaune au rouge ou au vert. Il parvient à distinguer les personnes dotées d'une puce active ou non et ceux qui n'en sont pas doté. En revanche, il ne sait que faire de ces informations. Y avait-il quelque chose à accomplir en distinguant les uns des autres? Bastian ne savait pas et se contentait de seulement scanner. Il scanne de nouveau Meiji. Il lui sourit.

- Il fait beau aujourd'hui, n'est-ce pas?

Une phrase toute banale et toute faites. Le ciel à Din était gris, couvert d'une épaisse nappe de pollution en permanence. Rien qui laisse à désirer. Rien qui ne mérite d'être considérer comme "beau". Pourtant Bastian sourit et lève les yeux au ciel comme si celui-ci était clair et beau.
A Wan, quand il n'était pas traité indifféremment ou comme une boite de conserve, il arrivait que des personnes victimes de solitudes bavardent avec lui de la pluie et du beau temps. Cela lui est resté. De même que son aptitude à questionner pour récolter des informations.

La femme répond par l'affirmative. C'est une belle journée. Elle ajoute que c'est rare. Hochement de tête de la part de Bastian. Il continue de scanner les passants. Elle lui demande ce qu'il fait par ici. Bastian s'arrête un moment, la regarde dans les yeux et sourit:

- Je fais mon travail.

C'était son travail à Wan. A Din, il n'avait pas réellement de travail. A Din, il devait seulement récolter des informations à travers les rues. Ce n'était finalement pas bien différent de ce qu'il faisait à Wan. A quelques détails près. Dans la ville du ciel, il savait quoi faire de ses informations. Il savait qu'il devait signaler et torturer ceux qui ne possédaient pas de puces ou une puce désactivée parce qu'ils étaient forcément des déchets dinois. Dans la ville de la terre, il récoltait des informations, qui étaient récupérées et traitées à Tai, la ville souterraine. Bastian avait été programmé pour ne pas parler de Tai et de ses habitants. Ils avaient pris des précautions pour ne pas être repéré.

- Et vous même?

Il retourne la question sans se détacher de son sourire. Il sort tout à coup un objet de l'une de ses poche. C'est une sucette. Une sucette en plastique. Il la met en bouche. Il a toujours aimé les confiseries. A Wan, cela faisait longtemps que l'on voulait se débarrasser de ce robot détraqué. C'est pourtant El qui a permis à la machine de rester là-haut si longtemps. C'était son jouet personnel. Son jouet favori qui plus est. Sans doute parce que justement il était une pièce unique. Mais sa Seigneurie n'avait pu protéger son jouet préféré plus longtemps. Et ce fameux jouet n'avait plus les données concernant le seigneur El qu'il devait protéger. Même s'il restait conscient d'une certaine façon d'avoir été conçu pour protéger quelqu'un.

 - Et vous même? 

Elle aussi faisait son travail. C'est ce qu'elle lui répond. Bastian fait mine de manger sa sucette. La jeune femme se met à fumer. Sourire mécanique. Il ôte la sucette en plastique de sa bouche.

- En quoi consiste votre profession? Cela fait-il longtemps que vous l'exercer?

Bastian pose les questions. Il dispose d'un programme performant pour cela. Indiscret? Manque de tact? Cela ne lui fait rien. Il fait ce qu'il à faire. Il fait ce qu'on lui a programmé de faire. Ni plus ni moins. Ni bien ni mal. Bastian attise les regards. Regards effrayés: sans doute des personnes qui furent ses victimes où celles de ses semblables autrefois. Regards ambitieux: certainement des personnes qui voient la somme qu'il représente. Bastian ne s'en soucie pas. Tant qu'on ne l'approche pas brusquement, il ne réagira pas.

Bastian a d'autres questions. Il cherche d'abord les réponses dans ses programmes. Rien. Ou rien de convaincant. Il cherche encore. Il n'obtient pas plus de succès dans l'approfondissement de sa recherche. Il pose sa question:

- Pourquoi votre visage s'est-il crispé?

La machine imite les traits qu'elle a vu sur le visage de Meiji.

- Qu'est-ce que cela signifie quand un humain fait cela?

Les humains ne cessent de l'intéresser. Les humains ne cessent de lui poser question. Il veut savoir. Il n'est pas humain. Il imite les humains. Il imite bien même. Même si parfois il dysfonctionne. Même si parfois il perd le fil.

Tout comme lui, elle est en quête d'information. Elle laisse s'échapper de sa bouche la fumée de cigarette. Bastian observe les volutes de fumées. Les dessins qu'elles forment sont souples, raffinés, vaporeux. Il n'a pas oublié les autres questions qu'il se posait. D'ailleurs, elle rit quand il l'imite. Il faudra qu'il lui demande pourquoi. Après parce que là elle répond et Bastian enregistre. Il triera les informations plus tard. Son visage s'est crispé parce qu'elle revisitait dans son esprit des souvenirs du passé. Des souvenirs de Wan. Nouvelle information: elle n'est pas humaine. Qu'est-elle alors? Son lire les informations et à les traiter comme autrefois. A quoi cela lui sert de scanner? A rien. A part à savoir si les passants possèdent une puce ou non. C'est tout. Il sait qui vient de Wan et qui n'en vient pas. Mais en même temps, il ne le sait pas. Ou plus. Ca dépend. De toute façon, ce n'est pas lui qui traite les informations enregistrées. C'est le génie de Tai qui s'en charge.

Elle n'est pas tout à fait humaine mais elle peut raisonner comme les humains. Elle peut comprendre comment il fonctionne. Bastian ne comprend pas. Il ne fait qu'imiter les aspects physiques des émotions en fonction des circonstances. Quelqu'un se blesse: crispation du visage, ouverture de la bouche, parfois larmes et cris. Pourquoi y a-t-il parfois des larmes et des cris? Bastian sait que c'est en fonction du seuil de douleur qui n'est pas le même pour tous les humains. Comment estimer que la douleur nécessite de verser des larmes et de pousser des cris? Bastian n'en sait rien, n'y comprend rien. Mais il imite. Même s'il ne ressent pas la douleur.

- Mon travail consiste à faire régner l'ordre.

Sourire. C'était son travail. Il continue de s'imaginer que c'est le cas. Malgré qu'il ait été réinitialisé, des choses du passé lui reviennent sans qu'il ne s'en aperçoive. Bastian interroge mais ne se questionne pas sur lui-même. Il n'a pas été conçu pour ça. Il a d'autres questions. Il revient sur un détail de la réponse que l'enquêteuse d'informations lui a donné.

- Que sont les souvenirs? Comment apparaissent-ils? Et si vous n'êtes pas humaine qu'est-ce qui vous en différencie?

Bastian ne sait pas lire sur sa puce désactivée qu'elle est une créature de laboratoire, bien que cela a bien été enregistré dans ses données, il ne sait pas utiliser l'information.

- Vous avez une apparence humaine et raisonnez comme une humaine mais vous n'êtes pas humaine. Comment faites-vous pour raisonner comme un humain?

Bastian parviendrait-il à percer le mystère du raisonnement humain? Pourrait-il s'en servir? Il n'en avait pas conscience, mais quelque part au fond, c'est ce qu'il cherchait. Parce que c'était inscrit dans ses programmes. Peut-être aussi parce que c'était inscrit dans ce qu'il fut autrefois, à une époque révolue.

Elle marque une pause, semblant réfléchir. Nombreux sont ceux qui réagissent de cette façon lorsque Bastian pose ses questions quelque peu particulières. Elle ouvre la bouche et ses lèvres remuent pour former des mots. Ces mots qui se succèdent sont la réponse que Bastian enregistre. Les souvenirs sont des événements passés que l'on garde en mémoire. Les souvenirs peuvent être bon ou mauvais. Dans son cas, elle disait avoir plus de mauvais souvenirs. Bastian ignorait quels étaient les critères pour savoir si un souvenir était bon ou mauvais.
L'apparition des souvenirs varient en fonction de chaque individu et de la situation. Parfois, il suffit d'un mot pour qu'ils ressurgissent. Parfois il n'y a aucune raison apparente. C'est le cas de celle qui lui donne ces explications. Elle ajoute qu'elle s'en veut. Bastian écoute. Il attend la réponse à toutes ses questions. Il continuera de questionner dès qu'il aura eu les réponses à ses questions.
Elle se tait. Bastian attend. Elle poursuit. Bastian écoute.

Elle n'est pas humaine parce qu'elle a été créée en laboratoire et qu'elle a un pouvoir. Elle prononce ses derniers mots sur un ton différent. Elle continue toutefois. Elle raisonne comme les humains parce qu'elle les a longtemps côtoyer et qu'elle a été créée pour. Elle ajoute que pour détruire son ennemi, il faut le connaitre et le comprendre d'abord. Elle tuait des humains. Elle ajoute que cela ne signifie pas qu'il faut connaitre les humains dans l'unique but de les tuer.

Elle laisse tomber sa cigarette par terre et l'écrase. Bastian ôte sa sucette en plastique de sa bouche. Il s'approche de la jeune femme et pose une main sur sa tête:

- Les souvenirs sont à l'intérieur. Si j'ouvre, pourrais-je voir vos souvenirs et comprendre comment raisonne les humains?

Il penche la tête légèrement sur le côté. Sourire mécanique. Quand on l'ouvre, il n'éprouve rien. Il est incapable de s'imaginer la douleur. Il est incapable de s'imaginer le bonheur. Il ne peut que reconnaitre les expressions faciales qu'elles engendrent. Bastian poursuit.

- Si j'ouvre, est-ce que j'arriverais à comprendre ce que signifie "s'en vouloir" et à distinguer les souvenirs "bons" et "mauvais"?

Une expression que Bastian su reconnaitre comme étant la tristesse s'afficha sur le visage de la jeune femme qui lui répondit que cela ne servirait à rien d'ouvrir sa tête car il n'y trouverait assurément rien de ce qu'il cherche. Elle expliqua qu'il lui fallait un programme correspondant pour connaitre et comprendre tout ça. Elle supposait que cela existait. Elle supposait juste. Elle ignorait toutefois où trouver ce genre de programme. Bastian lance une recherche. Il retrouve des informations intéressantes.

- Le cyber marché de Wan.

Il lâche la jeune femme. Lui sourit. Il sait où aller. Il la remercie pour ses informations et pour le temps qu'elle lui a consacré. Il lui fait le salut wanais. Cela attise des regards empli de haine de certains passants. Un jeune sous l'emprise de la drogue s'emporta contre Bastian qui le fixa mécaniquement. Le jeune garçon sorti un couteau et le brandit contre le robot sur lequel il fonça en hurlant de rage. Cette jeune personne avait dû vivre des choses terriblement difficiles et traumatisantes. Et forcément liée à Wan. C'était évident. Mais même cette évidence était au-dessus des capacités de Bastian qui par le biais de ses programmes ne vit qu'un être lui lançant une offense.
Bastian avait été programmé pour se défendre en cas d'attaque à son intention. Il eut vite fait d'éliminer ce pauvre inconscient. Il l'attrapa d'une main et lui tordit le cou. Il avait suffit d'un simple claquage pour mettre fin à toute une vie. Une vie que la machine laissa tomber par terre.

- Pardonnez-moi pour ce léger contretemps. Au revoir. Dit-il à la jeune femme avant de prendre congé d'elle.

Il enjambe le corps inerte. Indifférent au visage tordu par la colère et la peur de sa victime. Il a plus important à faire. Il doit récolter des informations. Il doit comprendre les humains pour bien faire son travail. Il ne doit pas décevoir ses maîtres. Il ne veut pas être débranché. Il doit protéger quelque chose. Il ne peut pas être débranché. Il se dirige d'un pas régulier vers la base des câbles. Il n'est pas pressé. Il ne connait pas l'empressement, le stress... Ce genre de choses qui affectent les humains. Bastian a tout son temps. Il doit juste veiller à recharger ses batteries quand cela s'avère nécessaire. C'est tout.